1. Tadrat


Cette lumière peut-elle tout un monde nous rendre ? Est-ce plutôt la nouvelle ombre, tremblante et tendre, qui nous rattache à lui ? Elle qui tant nous ressemble et qui tourne et tremble autour d’un étrange appui. Ombres des feuilles frêles, sur le chemin et le pré, geste soudain familier qui nous adopte et nous mêle à la trop neuve clarté.

Rainer Maria Rilke, tiré du recueil « Vergers »




“Cette lumière peut-elle”

du ... au ... 2021, Galerie Spazio Nobile, Bruxelles



Dans un paysage jonché d’ombres et de lumières, d’obscurité et de clarté, les formes et les volumes gravés et peints à la gouache de l’artiste Éva Garcia épousent le papier. La fragilité qui émane de son œuvre en mouvement révèle cette présence incertaine et parfois étrange de notre corps et de sa connexion avec la nature. Les «feuilles frêles» dont parle Rainer Maria Rilke nous rattachent à ce territoire qui est le nôtre, à ce paysage que l’homme construit dans un cheminement vers l’autre, « sur le chemin et le pré » qui lui offrira un cadre et une meilleure appréhension de la réalité. En attente entre deux mondes, il y a le mouvement qui donne vie, l’ouverture et les traces si bien représentées par les incursions de l’artiste faites dans le papier. Les encres de gravure lui permettent de faire des retraits, et la gouache, des appositions sur ses gravures. Le geste devient l’élan vital d’une âme en quête de l’autre, le rocher muet ou la forêt obscure sont quant à eux la personnification du temps et de l’espace inscrite en nous. Quel est le pivot qui nous unit au monde ? Telle la racine pivot de l’arbre en son centre. La force, le calme et la tempête. La condensation et la dispersion. L’homme adossé au rocher regarde vers le ciel immense. Bleu. La pratique d’Éva Garcia est axée sur la gravure dont elle emploie l’ensemble des techniques. La gravure est un réservoir de possibilités. Elle procède de l’écriture, elle pénètre l’inversion, elle se modifie, elle est mystère. Comment une matrice gravée peut-elle emprunter des existences différentes et se renouveler sans cesse ? Comment trouver le lieu de l’œuvre, sa vitalité créatrice, son silence actif, terre du fini et de l’infini où tout peut arriver ? Son art se lit comme une tentative de perpétuer l’apparition. Éva Garcia interroge la notion de récit et de circularité. Son travail est fait d’écritures répétées, transposées et multiples, opérant un transfert de langage. Il n’est pas étonnant que l’artiste ouvre sa pratique à la peinture et la sculpture. « Je viens de la gravure, c’est elle qui m’a conduite vers la peinture qui m’a conduite vers la sculpture, dans un va-et-vient continu. » Par ces jeux traversants, d’accumulation de strates, de filtres, de recouvrements et de découvrements, par ces interpénétrations de gestes, techniques et matières, par les formats qui imposent un investissement total, c’est tout une esthétique du trouble qui nous est livrée pour aborder le passage d’un état à un autre, d’une réalité à une autre et peut-être saisir ce qui n’apparaît qu’une fois avant de disparaître. Gouache, réutilisation d’épreuves d’état, formes archétypales presque totémiques hésitant entre la chute et la suspension, c’est ici une variation sur le thème du corps, entre force et fragilité, sur l’importance de ce pivot dont parle Rainer Maria Rilke, lui qui nous permet d’accueillir le jour nouveau.